Matthieu 2, 1-12
La visite des Mages.

Les étoiles existent en grand nombre et sont de tous les temps: le ciel, nous le savons, est couvert d'un nombre infini d'étoiles; nous en voyons aussi dans l'arbre de Noël, dans des maisons au temps de NOËL,au-dessus des crèches dans les églises ou les maisons et normalement elles scintillent ... Il y a aussi les stars de cinéma, du théâtre, de la TV qui apparaissent elles aussi chaque année...

De fait, il y a une tendance à réduire ce passage de l'évangile de Matthieu à la simple description d'un phénomène astronomique. On essaie d'expliquer le tout en partant de l'astronomie...

Certains pensent, de façon pieuse et même ingénue, qu'il s'agit d'un astre spécial formé par le Créateur pour guider des hommes de bonne volonté.

D'autres pensent qu'il s'agit d'une «conjonction» de planètes comme Jupiter, symbole du Créateur et de Saturne, dans le signe des Poissons; ce qui signifierait la rencontre du Maître du monde et de la Palestine dans les astrologies du Moyen Orient Ancien.

On a aussi parlé de la Comète Halley etc.

Toutes ces tentatives de solution sont sans porte de sortie. Il s'agit là d'autre chose et il faut plutôt se placer au point de vue littéraire et théologique.

Des Mages ont vu un astre apparaître dans le ciel. Des sages de l'époque, très versés dans l'interprétation des songes (Daniel 2, 1-12; Jérémie 39,1-13), dans l'explication de phénomènes naturels ou de certains évènements extraordinaires... des mages qui tenaient une grande influence sur les Rois à leur époque.

Selon la légende, 3 (documents syriens disent qu'ils sont 12) de ces personnages partirent un bon jour de leur pays, terre de leurs ancêtres et de leurs familles pour suivre un astre dont ils avaient découvert la présence dans le ciel. Ils n'auront pas la chance qu'on donne leur nom à cette étoile mystérieuse mais ils seront témoins de l'histoire la plus merveilleuse que l'humanité conserve dans ses annales. Selon une tradition du sixième siècle, ils s'appellent Gaspar, Melchor et Balthazar et viennent d'Extrême-Orient.

Telle est la légende que l'Évangéliste Matthieu,fidèle aux croyances de son temps et respectueux des traditions prophétiques de l'Ancien Testament nous présente dans les premières pages de son Évangile, qui est une Bonne Nouvelle pour nous tous.
Matthieu raconte l'histoire des Mages et de l'étoile après avoir donné la généalogie de Jésus et raconté comment l'Ange du Seigneur eut annoncé à Joseph, dans un songe,la naissance prochaine de l'enfant qui sera le Messie de David (Matthieu 1,1;16;18), un enfant conçu par la force de l'Esprit Saint et par conséquent,Fils de Dieu (2,15).

En résumant, voyons les différentes parties du récit de Matthieu qui nous offrent une structure pour l'histoire des Mages et de l'étoile.

1. Lors de l'annonciation à Joseph, Matthieu suit le modèle d'une annonciation typique de naissance dans l'Ancien Testament, celle d'Isaac(Gen17,15-21),Samson (Juges13) (Voir le modèle d'annonciation que je vous ai remis à la deuxième rencontre)
2. La représentation de Joseph qui reçoit une révélation en songes (Matthieu 1, 20; 2,13.19) et qui va en Égypte (2,14) est semblable au portrait du Joseph de l'Ancien Testament, le patriarche qui était "le rêveur" par excellence (Gen 37,19:( littéralement, le maître des rêves) et qui est allé en Égypte, en échappant à un attentat contre sa vie (Gen 37,28).
3. Le récit de la fuite de Jésus devant Hérode ressemble beaucoup à l'histoire juive de la fuite de Moïse face au Pharaon- le Moïse qui, comme Jésus, revient d'Égypte où était allé Joseph.

Les récits bibliques de la naissance de Moïse sont devenus très populaires au siècle I après le Christ, comme on peut le voir dans les écrits de l'époque chez Philon et chez Flavius Josèphe.

Dans ces récits, Pharaon est averti par des scribes (Matthieu 2,4) qu'un enfant qui va naître, Moïse, allait être une menace pour son royaume et ainsi, lui et ses conseillers prennent la décision de tuer tous les enfants mâles hébreux. En même temps, il y avait, au moyen d'un songe, une révélation divine au père de Moïse que son épouse, déjà enceinte, allait avoir un fils qui allait être le sauveur d'Israël, un enfant qui allait échapper au massacre du Pharaon.

Prévenus, les parents font tout pour préserver la vie de Moïse lors de sa naissance. Plus tard, dans sa vie, Moïse doit fuir au Sinaï et il est revenu seulement lorsqu'il écouta le Seigneur: «Va retourne... car tous ceux qui en voulaient à ta vie sont morts» (Exode 4, 19; Matthieu 2, 20).

L'histoire des Mages et de l'étoile, c'est aussi comme un écho du récit que l'on retrouve dans le Pentateuque au sujet de Moïse, mais Matthieu va le combiner avec une série d'images du Messie de la descendance de David, images auxquelles Matthieu nous a préparé en faisant commencer le récit de la naissance par «la généalogie de Jésus Christ, fils de David».

Le passage du Pentateuque qui nous intéresse, on le retrouve au Livre des Nombres chapîtres 22-24, un évènement qui nous présente Balaam. On constate cependant que Matthieu semble s'être servi plutôt du texte des LXX (version grecque de l'Ancien Testament) qui a des divergences avec le texte hébreu.

Lorsque MoÏse conduisait le peuple d'Israël dans la région de Transjordanie, chemin faisant vers la Terre Promise, il rencontra un autre roi, un méchant roi qui, comme le Pharaon d'Égypte, essaya de le faire disparaître. Ce roi de Moab, du nom de Balaq, envoya chercher un devin fameux, du nom de Balaam, qui venait «d'Aram, des monts d'Orient» (Nombres 23,7) pour qu'il puisse faire valoir ses pouvoirs contre Moïse et Israël.

Balaam était un étranger, un visionnaire inconnu, un qui pratique des charmes, en un mot, ce qu'on appelait au temps de Jésus, un «Mage». (À l'époque du Nouveau Testament,«Mage» avait un sens plus ample pour parler des arts ocultes: astronomes, augures sacrées, ceux qui annonçaient le futur, devins etc... il semble qu'ici Matthieu pensent à des astronomes).

Balaam et ses deux serviteurs (Nombres 22,22) vinrent chez le roi, mais au lieu de maudire Moïse et Israël, il eut une vision positive du futur: «Un héros grandit dans sa descendance, il domine sur des peuples nombreux»...(texte BJ des LXX)... «Je le vois, mais ce n'est pas pour maintenant. Je l'observe, mais non de près: De Jacob monte une étoile , d'Israël surgit un homme» (LXX) (sceptre) (Nombres 24, 7...17).

Je crois que nous pouvons dire que ce passage fait référence à l'apparition de la monarchie davidique, (c'est que le livre des Nombres a été composé après l'apparition de la dynastie davidique). On considérait que David était l'étoile que Balaam avait annoncé, l'homme à qui serait donné le sceptre sur le Royaume uni de Juda et d'Israël.

Dans le judaïsme tardif, on se servit de ce passage en référence au Messie, le roi oint de la descendance de David. Ce passage a joué aussi un grand rôle au deuxième siècle avant Jésus Christ, lorsque le Rabbin Aqiba présenta comme Messie, le révolutionnaire Simon Ben Kosbah, appelé Bar Cochba qui, par ethymologie populaire, en est arrivé à s'appeler: «Fils de l'étoile».

L'Hérode de l'histoire de Matthieu a les traits non seulement du Pharaon qui a tenté de tuer l'enfant Moïse,en tuant tous les enfants mâles des hébreux, mais il a de plus les caractéristiques du Roi Balaq qui tenta de faire disparaître Moïse, en voulant se servir d'un mage venu d'Orient.

Comme Balaam a vu apparaître l'étoile de David, (Nombres 24, 17), ainsi les Mages du Nouveau Testament virent l'étoile du Roi des Juifs lorsqu'elle apparût.

La réalisation d'une construction du genre de récits de l'Ancien Testament est certes présente comme arrière-fond du récit des Mages et de l'étoile chez Matthieu. Je crois que cette lecture est un des résultats positifs de la critique biblique.
Concentrons-nous maintenant pour découvrir comment Matthieu s'est servi de cette histoire au chapitre 2 pour décrire la conséquence de la révélation de l'identité de Jésus, l'Évangile, la Bonne Nouvelle que Matthieu a mis en relation avec l'annonciation de la conception de Jésus au premier chapitre.

Comme je vous le disais antérieurement, cette conséquence a consisté à proclamer la Bonne Nouvelle aux Juifs et aux Païens, avec la double réponse d'acceptation ou de rejet de ce qui est annoncé.

L'histoire des Mages et de l'étoile devient pour Matthieu, l'anticipation du destin de la Bonne Nouvelle du salut, un destin que lui connaissait comme conséquence de la Résurrection.

La Bonne Nouvelle qui est le Christ attire des croyants et ces croyants, les Mages, sont les païens.

Et l'Évangéliste est suffisamment juif pour suivre la tradition qui, étant donné que les Païens n'ont pas l'Écriture, ils n'ont jamais eu une révélation si explicite comme celle qui a été donnée aux juifs.

Ce fut au moyen de la nature que Dieu s'est révélé aux Païens (Rom 1, 19-20; 2, 14-15), et ainsi Matthieu montre que les Mages, en recevant une révélation par le moyen de l'astronomie, i.e. l'étoile qui est apparu et qui est associée au Roi des Juifs, sont conduits à la Bonne Nouvelle du salut. C'est une révélation imparfaite; elle leur parle de la naissance et ne leur dit pas où ils peuvent rencontrer le Roi des Juifs. Le dernier secret au sujet du lieu, est comme caché dans la révélation spéciale de Dieu à Israël, dans les Écritures (Matthieu 2, 2-6). Les Païens viennent adorer mais ils doivent apprendre des Juifs l'histoire du salut. Alors Matthieu présente le paradoxe: ceux qui ont les Écritures et peuvent voir pleinement ce que les Prophètes ont annoncé, ne sont pas disposés à adorer le Roi qui vient de naître; bien au contraire, le Roi et les grands prêtres conspirent contre le Messie, et le méchant roi décrète sa mort. Mais Dieu délivre Jésus et ramène de nouveau son Fils d'un autre pays ( 2,15).

En d'autres mots, les histoires que reflètent des souvenirs de l'Ancien Testament sur Joseph, Moïse, Balaam ont été retravaillées pour présenter en anticipation dans ce chapitre, le récit de la Passion et de la Résurrection de Jésus.
La même liste des caractères sont présents: un gouverneur laïc, les grands prêtres, les scribes tous bien unis contre Jésus qui n'a que Dieu qui soit de son côté.

Et Dieu fait que Jésus soit victorieux en le ressuscitant. Et dans ce processus, ceux qui possèdent les Écritures le rejettent alors que les Païens viennent et à l'aide de l'Écriture le trouvent et l'adorent.

L'histoire de l'enfance chez Matthieu n'est pas seulement une Bonne Nouvelle du salut; c'est l'essentiel de l'Évangile qui est présenté en miniature. Et ainsi lorsque nous jetons un regard sur l'histoire du christianisme, nous pouvons peut-être mieux comprendre pourquoi ce récit de l'enfance a été une des parties les plus populaires de l'histoire de Jésus, une des plus connues et que tout le monde aime.

Ce ne fut pas seulement le fait d'apprécier une bonne histoire qui satisfait l'émotion et les sentiments mais c'est parce que ce récit reflète de plus «a Christian instinct» (Brown R.E.) qui reconnaît dans ce récit, l'essentiel de la Bonne Nouvelle, i.e. que Dieu s'est fait présent pour nous (Emmanuel) dans la vie d'un homme qui marchait sur cette terre, et d'une manière si présente, puisque cet homme, Jésus, était son Fils.

Cette révélation fut une offense et une contradiction pour plusieurs, mais ce fut le salut pour ceux «qui ont des yeux pour voir». Les Mages sont les précurseurs de ces derniers, l'anticipation de tous ceux qui allaient un jour adorer Jésus ressuscité annoncé par les Apôtres.

Le Livre des Nombres a présenté Balaam comme un homme d'Orient qui pouvait dire: «Je le vois, mais ce n'est pas pour maintenant» étant donné que l'étoile n'allait pas apparaître depuis le temps de Jacob jusqu'au temps de David. C'en est ainsi pour les Mages dans Matthieu: en voyant l'étoile du Roi des Juifs, lorsqu'elle apparaît, ils voient (mais pas pour maintenant...) celui dont le Règne n'allait pas être visible historiquement jusqu'à ce qu'il soit pendu à une croix, sous le titre: «le Roi des Juifs» et que cela n'allait pas être communicable jusqu'à ce qu'Il soit élevé à la droite de Dieu par sa Résurrection «se prosternant, ils lui rendirent hommage» dit le v.11. En respectant les rites de la cour, les voyageurs se prosternent comme c'est la coutume en présence d'un Roi.

Selon le récit de Matthieu, et sans doute par fidélité au Psaume 72,10-15 et surtout à l'oracle d'Isaie 60,3-6: les Mages lui rendent hommage et lui offrent des présents, de l'or, de l'encens et de la myrrhe. «Les nations vont marcher vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton lever. Un afflux de chameaux te couvrira, de tout jeunes chameaux de Madiân et d"Eifa; tous les gens de Saba viendront, ils apporteront de l’or et de l’encens, et se feront les messagers des louanges du Seigneur». L'or pour honorer la royauté de Jésus, l'encens, comme reconnaissance de sa divinité et l'ajout de la myrrhe, comme annonce de sa mort (Matthieu 26,6-13).

La visite des Mages pour nous aujourd'hui...
Si nous avions à réécrire aujourd'hui la révélation de la visite des Mages, il faudrait, sans aucun doute, trouver une étoile et un lieu où devrait se poser l'étoile. Mais, où trouver des Mages en recherche de cette étoile?

Dans Pierre, on nous dit «soyez toujours prêts à justifier votre espérance devant ceux qui vous en demandent compte».

Le Concile Vatican II exhorte les chrétiens à avoir dans leur milieu, une conduite qui permette aux autres de glorifier Dieu pour les bonnes oeuvres que réalisent les chrétiens. Présence dans le monde, communion à leurs aspirations,à leurs pensées et à leurs actions, ces valeurs que les personnes apprécient, des témoignages vivants, est-ce que ce ne serait pas tout cela l'Étoile capable de séduire ceux et celles qui cherchent un sens à donner à leur vie? Même s'il faut parfois beaucoup de temps pour passer à l'action, le projet évangélisateur doit être prioritaire dans l'esprit des chrétiens. L'annonce devrait avoir pour thème:
- le Dieu qui aime,
- la vie qui prend tout son sens en Jésus Christ, 
- l'espérance qui débouche plus loin de ce qui est visible.

Il nous faut être des porteurs d'une profonde rencontre entre la révélation de Jésus et la mentalité d'aujourd'hui. Une tâche ardue nous attend: confrontation entre la foi et la mentalité de notre temps. Une étoile est apparue: telle est l'espérance de l'humanité qui nous entoure. Ne serions-nous pas nous-même cette étoile?

Pierre Drouin, c.j.m.
1er janvier 2020